Petite recette simple de paralysie organisationnelle

Voici une petite recette simple pour paralyser complètement les organisations et faire échouer toute tentative de projet utile : la matrice WKPT :

  • Will : la volonté de faire le projet.
  • Knowledge : la compétence pour réaliser le projet.
  • Power : le pouvoir décisionnel sur le projet.
  • Time : le temps alloué au projet.
W  K
PT

La préparation consiste à répartir ces ingrédients sur le maximum de têtes possibles, et, autant que faire se peut, sur des gens qui sont très éloignés les uns des autres et qui se parlent rarement… L’enjeu est important, car, si jamais ces compétences venaient à se regrouper, on risquerait dramatiquement de réussir un projet!

Ségrégation Volonté – Compétence

La volonté et la compétence se séparent naturellement du moment qu’on veille à accorder plus de respect pour les mauvaises idées.  Au plus les idées sont idiotes, au plus c’est signe que la volonté est éloignée de la compétence.  

Ainsi une bonne dose de « Project Management Office » (PMO pour les intimes) permettra un tamisage fin et régulier des projets à succès depuis l’introduction des demandes jusqu’à leurs réalisations (ou leur annulation) et enlèvera progressivement tous les grumeaux de valeur réelle.  

Lorsque vous êtes certain qu’il n’y a aucune expertise dans l’idée proposée, ne manquez surtout pas l’opportunité d’en faire un projet stratégique et structurant pour l’entreprise, vous pourrez ainsi éviter de laisser de la place à des idées malheureusement mieux construites.  

Attention toutefois que vendre des concepts comme « Digital Transformation » à des managers risque que ces derniers ne combinent volonté et pouvoir de décision.  L’avantage acquis sera en général compensé par l’inexistence pure et simple de compétence.  Tout est question de dosage.  

Les business analysts sont des experts en ségrégation volonté/compétence.  Il ne faut pas que le business analyst sache expliquer les principes informatiques au business.  Ni l’inverse d’ailleurs.  Sa meilleure arme réside dans une émulsion onctueuse des deux mondes : une compréhension approximative à la fois du business et de l’informatique qu’il utilisera avec raffinement pour arriver à des propositions de solutions mal préconçues et, de ce fait, à brouiller les cartes sur les objectifs réels.   Un délice ! 

Ségrégation volonté – temps

Certains éléments comme séparer la volonté et le temps se résolvent très facilement : la tactique consiste à obliger la soumission d’un document de demande, d’attribuer un numéro à cette demande, et d’attendre que le motivé aille s’occuper ailleurs en attendant la suite qui y sera donnée.  C’est une solution tellement simple qu’elle peut se consommer « sur le pouce » entre les projets, à chaque petit bug, via l’introduction d’un système de « ticketing » et d’un service desk offsite.  

Pour les cas plus complexes où des équipes IT motivées à aider leur client et qui, de surcroit, commenceraient à écouter directement leurs clients malgré les tentatives de ralentissement, la solution la plus simple est de créer une équipe d’architecture, reconnue pour son effet gélifiant.  

Si les architectes, eux-mêmes, font preuve de trop bonne volonté (mais admettons que c’est plus rare), on peut toujours leur demander des avis inutiles – quoi qu’importants et urgents – sur la différence entre MySQL et PostgreSQL ou sur la différence entre Kafka et RabbitMQ afin de ne pas faire retomber la mayonnaise.  

Une séparation structurelle volonté-temps est typiquement le caviar ou la truffe blanche d’une organisation qui met un point d’honneur à aller mal : on voudrait bien, mais on ne peut point… 

Citons le cas où le business, surchargé, va donc sauter l’étape d’expliquer son besoin.  Notons au passage que cela correspond généralement à un intérêt soudain et prononcé de la part des développeurs qui se voient déjà trifouiller dans les dernières technologies sans grande utilité.  

Et l’inverse est vrai également, lorsque l’informatique est noyée et n’a pas le temps de s’intéresser à ce que voudrait son client, ce dernier se met alors rapidement à écrire des ERP en Excel. 

Mélangez vigoureusement les deux cas de figure et vous vous retrouverez alors avec ce subtil mélange où l’informatique écrase les mouches à l’avion de chasse furtif, tandis que le business tente d’aller sur mars avec un cerf-volant à pédales.  Un vrai régal !

Les deux effets s’associent parfaitement. C’est ainsi que l’informatique peut gaspiller son temps sur les projets high-tech sans volonté business afin de ne plus en avoir pour les projets où le business les attend vraiment.  C’est donc un schéma hautement scalable, ce qui en fait un mets délicat à savourer sans modération !

Ségrégation volonté – pouvoir

Faites mijoter, doucement, au fil de nombreuses réunions, de bons processus avec des matrices RACI bien ficelées, et vous obtiendrez logiquement une différence significative entre celui qui a du pouvoir et celui qui a la volonté de faire le projet.  C’est d’ailleurs l’objectif principal de  ce genre d’opération.  De plus, la mixture obtenue dispose d’une propriété intéressante qui est de séparer le pouvoir lui-même en « accountable » et « responsible ». Notons également l’absence de « performer ».  Il faudra veiller à se limiter à ce que les détenteurs de compétence ne soient pas plus « qu’informé », mais on pourra « consulter » n’importe qui d’autre, la créativité est au pouvoir.    

Un « process owner » placé au sommet de votre composition veillera à ce que trop d’efficacité soit remise dans le droit chemin du processus imprimé sur papier glacé.  

Avec un peu de doigté dans cette méthode et vous obtiendrez vite vos étoiles au Michelin.  

Ségrégation compétence – temps

Nous avons déjà parlé des business analystes, mais ils sont aussi formidables en ségrégation compétence/temps.  De manière générale, un bon business analyste se gardera bien d’être pédagogue et divise la connaissance en petites bulles séparées par  un document Word, obscur, à la structure préformatée, et soigneusement perdu sur un Sharepoint.  

Attention à ce que les morceaux de compétences ne se recollent pas : insistez bien sur l’obligation d’utiliser votre document Sharepoint comme moyen de communication. Au besoin, demandez une validation du document à un maximum de personnes à qui vous aurez préalablement retiré les droits d’accès au dossier, incorporez doucement de nouvelles personnes dans la boucle pour faire durer le plaisir.  En cas d’extrême nécessité, n’hésitez pas à faire tourner plusieurs versions du document en même temps et prévoyez des sessions d’alignement.  

Ségrégation pouvoir – compétence et pouvoir – temps

Finalement, pour bien finir notre préparation, il est important de choisir les managers avec la plus grande attention, car un manager efficace pourrait à lui seul faire retomber le soufflé.  

Choisissez un manager qui n’a pas de temps et qui n’y connaît rien, vous garderez ainsi le pouvoir, bien isolé de la compétence.  Faites-les maturer longtemps, sous cloche, dans des réunions de « steering »…  Cela permet d’éviter qu’ils n’aient du temps pour autre chose.    

La crème de la crème, ce sont les managers qui évitent d’avoir une volonté particulière concernant les projets stratégiques.  Vous aurez du pouvoir à l’état pur !

Un manager bien mûr sait aussi que, seul, il n’est pas suffisant pour assurer une bonne et durable paralysie.  Il passera donc beaucoup d’efforts

  • à définir des processus et des matrices RACI, tant du côté business que du côté IT (on n’est jamais trop prudent). 
  • à saupoudrer délicatement les compétences entre architectes d’entreprise, architectes data, architectes de solution, business analystes, analystes techniques, développeurs, chefs de projets, release managers, quality managers, coiffeurs de poneys, etc.  
  • à créer des processus de sélection de projet (PMO). 
  • à vérifier s’il vaut mieux choisir RabbitMQ plutôt que Kafka…
  • A imposer Sharepoint.
  • A s’entourer de managers à son image. 

Bon appétit, 

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